La vie...La maladie...Le désarroi. Le Maire raconte...
Ce jour-là, il est 15 heures lorsque
je quitte la mairie. Au coin de la rue, j'aperçois une connaissance de longue date arrêtée au milieu du
trottoir : Henri. 90 ans dans quelques mois, canne à la main.
L'air hésitant. le regard bizarre,
perdu. Je m'approche lentement, stoppe le moteur : « je suis
seul depuis dix jours, m'apprend-il. Erna,
ma femme, doit rentrer de l’hôpital ce soir... je cherche ma
maison mais je ne la trouve pas."
Étonne, je l'oriente vers la bonne
direction, roule lentement à côté de lui sur une centaine de
mètres.
"Ma maison ? Non, ce n'est pas ma
maison, ce n'est pas la cour... Je ne peux pas entrer là, ce n'est
pas chez moi." Patience et dialogue... J'arrive à le faire
monter les marches, je l'aide à entrer dans sa maison, je le fais asseoir dans son fauteuil, lui montre un ancien portrait en compagnie d'Erna... Le voilà rassuré. Heureusement. Je
connais les lieux.
Mais je dois m'absenter, j'ai un rendez-vous
communal : "Restez là. Henri. Tout va bien. Je suis de retour
dans une heure." Mon entretien me semble d'une longueur... Je
l'abrège poliment, passe à la maison, embarque ma femme :
"Vite, quelqu'un a besoin d'aide. Je le sens... J'avais raison.
Une ambulance est arrêtée dans la
rue. Deux jeunes ambulanciers sortent l'épouse tant attendue, Erna, 91 ans depuis le 2 mai, est
incapable de marcher après douze jours à l'hôpital. Ils l'assoient
sur une chaise roulante, la font monter le petit escalier d’entrée,
l'installent dans un fauteuil du salon, replient leur matériel,
leurs couvertures, sortent.
Après ma question, et maintenant ?,
ils me remettent deux fiches médicales et une
enveloppe fermée. “Nous avons fait notre travail: nous avons fait le trajet
Strasbourg - Wissembourg pour chercher cette personne âgée à
l'hôpital et l'amener ici. Maintenant, nous devons retourner à
Strasbourg." Très sympathiques, mais presses, d'autres malades
attendent.
Sidéré par cet abandon, je suis
presque aussi désemparé que les deux anciens qui me regardent. Me
voilà en face d'Henri qui a l'air
d'avoir retrouvé une partie de ses esprits depuis le retour de son épouse ; D'Erna immobile dans son
fauteuil, assise devant moi, ses grands veux tristes grands ouverts
dans lesquels je lis un désarroi complet, une supplication muette :
"Ne nous abandonnez pas... Ne nous laissez pas seuls." Une
émotion indescriptible, des pensées confuses se bousculent en
moi...
Les soucis quotidiens du maire - le
chien du voisin qui aboie sans cesse, la branche d'arbre qui dépasse de la clôture chez le voisin,
le lampadaire qui s'est éteint cette nuit et qu'il faut réparer
tout de suite, le trou dans la chaussée
qu'il faut boucher tout de suite... - me semblent bien loin. Comme
ils sont petits, ces problèmes, comme ils sont mesquins, à en
devenir ridicules...
Car le seul problème, le vrai, l'unique, est un
problème humain, juste devant moi : comment aider ces deux
malheureux ?
Car ils ont toujours été
accueillants. si aimables. Pas d'enfant. Pas de famille. Personne.
Sauf des relations. Ils sont seuls...
Quelles solutions ? D'abord prévenir
les amies du couple du retour d'Erna. Ensuite demander conseil au
cabinet médical. Pas de chance, le médecin traitant est en congé
cet après-midi-là. Heureusement, une médecin remplaçante est
prête à me recevoir. J'arrive, attend la fin de sa consultation en cours. Elle se
révèle très sympathique tout aussi étonnée de cette situation
surprenante d'abandon que j'expose. Coups de téléphone de sa part,
hélas sans succès : il est vrai que nous sommes en fin d'après-midi
et que certains services sont déjà fermés. Drôle de système de
santé !
Je repars : mais que vais-je faire ?
Heureusement, les amies Angèle et
Colette sont arrivées chez Erna.
Heureusement, l'aide-soignante est là
aussi et distribue les comprimés pour Henri - mais elle a une
tournée à faire, doit repartir.
Heureusement aussi l'auxiliaire de vie
est arrivée pour préparer le repas d'Henri : elle va le faire pour
deux, Les choses s'arrangent un peu et les amies rejoignent leur
foyer.
Heureusement que cette dévouée auxiliaire de vie accepte de dépasser ses horaires de présence car tout est chronométré, ce que j'ignorais : seul où à deux, je ne sais comment on aurait réussi à mettre Erna au lit !
Heureusement que cette dévouée auxiliaire de vie accepte de dépasser ses horaires de présence car tout est chronométré, ce que j'ignorais : seul où à deux, je ne sais comment on aurait réussi à mettre Erna au lit !
Derniers échanges de paroles avec le
couple. Chacun se veut rassurant. Henri devra s'occuper de lui-même : revoir son épouse a été
un stimulant, lui a fait retrouver un équilibre... Il va se
débrouiller ! L'auxiliaire de vie et mon épouse sortent avec
moi. Ema et Henri restent seuls. Demain viendront le médecin de
famille, 1'assistante sociale, l'infirmière, les aides, les amies...
La vie reprendra un cours normal et adapté aux besoins de ce couple
marié depuis soixante-et-un ans!
N’empêche. Cette expérience
inattendue a laissé des traces en moi : est-ce cela, notre système
de
santé qui abandonne les plus
abandonnés ? Je comprends un peu mieux les manifestations de rue des infirmières ou des employés
qui sont confrontés tous les jours à des dizaines de cas
identiques. Est-ce cela, le système de fin de vie qui m'attendra un
jour ?
Épouvantables pensées où la vie et
la mort sont si proches... Mais immense reconnaissance à ceux
qui se dévouent toute l'année pour
aider ou soutenir un malade, une personne âgée ou isolée... Tous
mériteraient une médaille ! ››
Le Maire
Il n'y a rien à ajouter à ce texte. Sinon qu'il faut s'aimer un peu, un minimum dans ce monde d'égoïsme, d'individualisme, d'indifférence, de fureur. Se tendre la main dans des situations difficiles et s'aider si le besoin se fait sentir. Le chemin à parcourir sera long...Il y a des petits quartiers, les gens se connaissant bien, ne se saluent pas et ne se parlent pas, durant des années. Même les petits enfants voisins, durant la belle saison, ne jouent pas entre eux. Un apartheid ? dans un petit village ?
Dans un petit lotissement de 5, 6 maisonnettes à l'orée de la forêt où les enfants devraient crier de bonheur???
Mais quel monde sommes nous en train de créer ? Des barbelés invisibles ?
Le chemin sera long et difficile, je le crains...
La Mouche
Le Maire
Il n'y a rien à ajouter à ce texte. Sinon qu'il faut s'aimer un peu, un minimum dans ce monde d'égoïsme, d'individualisme, d'indifférence, de fureur. Se tendre la main dans des situations difficiles et s'aider si le besoin se fait sentir. Le chemin à parcourir sera long...Il y a des petits quartiers, les gens se connaissant bien, ne se saluent pas et ne se parlent pas, durant des années. Même les petits enfants voisins, durant la belle saison, ne jouent pas entre eux. Un apartheid ? dans un petit village ?
Dans un petit lotissement de 5, 6 maisonnettes à l'orée de la forêt où les enfants devraient crier de bonheur???
Mais quel monde sommes nous en train de créer ? Des barbelés invisibles ?
Le chemin sera long et difficile, je le crains...
La Mouche
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