lundi 30 mai 2016

Ma gorge s'est serrée.... à la lecture émouvante... du récit du maire de Hatten François Fenninger...

La vie...La maladie...Le désarroi. Le Maire raconte...


Ce jour-là, il est 15 heures lorsque je quitte la mairie. Au coin de la rue, j'aperçois une connaissance de longue date arrêtée au milieu du trottoir : Henri. 90 ans dans quelques mois, canne à la main.
L'air hésitant. le regard bizarre, perdu. Je m'approche lentement, stoppe le moteur : « je suis seul depuis dix jours, m'apprend-il. Erna, ma femme, doit rentrer de l’hôpital ce soir... je cherche ma maison mais je ne la trouve pas."
Étonne, je l'oriente vers la bonne direction, roule lentement à côté de lui sur une centaine de mètres.
"Ma maison ? Non, ce n'est pas ma maison, ce n'est pas la cour... Je ne peux pas entrer là, ce n'est pas chez moi." Patience et dialogue... J'arrive à le faire monter les marches, je l'aide à entrer dans sa maison, je le fais asseoir dans son fauteuil, lui montre un ancien portrait en compagnie d'Erna... Le voilà rassuré. Heureusement. Je connais les lieux.
 Mais je dois m'absenter, j'ai un rendez-vous communal : "Restez là. Henri. Tout va bien. Je suis de retour dans une heure." Mon entretien me semble d'une longueur... Je l'abrège poliment, passe à la maison, embarque ma femme : "Vite, quelqu'un a besoin d'aide. Je le sens... J'avais raison.
Une ambulance est arrêtée dans la rue. Deux jeunes ambulanciers sortent l'épouse tant attendue, Erna, 91 ans depuis le 2 mai, est incapable de marcher après douze jours à l'hôpital. Ils l'assoient sur une chaise roulante, la font monter le petit escalier d’entrée, l'installent dans un fauteuil du salon, replient leur matériel, leurs couvertures, sortent.
 Après ma question, et maintenant ?, ils me remettent deux fiches médicales et une enveloppe fermée. “Nous avons fait notre travail: nous avons fait le trajet Strasbourg - Wissembourg pour chercher cette personne âgée à l'hôpital et l'amener ici. Maintenant, nous devons retourner à Strasbourg." Très sympathiques, mais presses, d'autres malades attendent.
Sidéré par cet abandon, je suis presque aussi désemparé que les deux anciens qui me regardent. Me
voilà en face d'Henri qui a l'air d'avoir retrouvé une partie de ses esprits depuis le retour de son épouse ; D'Erna immobile dans son fauteuil, assise devant moi, ses grands veux tristes grands ouverts dans lesquels je lis un désarroi complet, une supplication muette : "Ne nous abandonnez pas... Ne nous laissez pas seuls." Une émotion indescriptible, des pensées confuses se bousculent en moi...
Les soucis quotidiens du maire - le chien du voisin qui aboie sans cesse, la branche d'arbre qui dépasse de la clôture chez le voisin, le lampadaire qui s'est éteint cette nuit et qu'il faut réparer tout de suite, le trou dans la chaussée qu'il faut boucher tout de suite... - me semblent bien loin. Comme ils sont petits, ces problèmes, comme ils sont mesquins, à en devenir ridicules...
 Car le seul problème, le vrai, l'unique, est un problème humain, juste devant moi : comment aider ces deux malheureux ?
Car ils ont toujours été accueillants. si aimables. Pas d'enfant. Pas de famille. Personne.
Sauf des relations. Ils sont seuls...
Quelles solutions ? D'abord prévenir les amies du couple du retour d'Erna. Ensuite demander conseil au cabinet médical. Pas de chance, le médecin traitant est en congé cet après-midi-là. Heureusement, une médecin remplaçante est prête à me recevoir. J'arrive, attend la fin de sa consultation en cours. Elle se révèle très sympathique tout aussi étonnée de cette situation surprenante d'abandon que j'expose. Coups de téléphone de sa part, hélas sans succès : il est vrai que nous sommes en fin d'après-midi et que certains services sont déjà fermés. Drôle de système de santé !
Je repars : mais que vais-je faire ?
Heureusement, les amies Angèle et Colette sont arrivées chez Erna.
Heureusement, l'aide-soignante est là aussi et distribue les comprimés pour Henri - mais elle a une
tournée à faire, doit repartir.
Heureusement aussi l'auxiliaire de vie est arrivée pour préparer le repas d'Henri : elle va le faire pour deux, Les choses s'arrangent un peu et les amies rejoignent leur foyer.
Heureusement que cette dévouée auxiliaire de vie accepte de dépasser ses horaires de présence car tout est chronométré, ce que j'ignorais : seul où à deux, je ne sais comment on aurait réussi à mettre Erna au lit !

Derniers échanges de paroles avec le couple. Chacun se veut rassurant. Henri devra s'occuper de lui-même : revoir son épouse a été un stimulant, lui a fait retrouver un équilibre... Il va se débrouiller ! L'auxiliaire de vie et mon épouse sortent avec moi. Ema et Henri restent seuls. Demain viendront le médecin de famille, 1'assistante sociale, l'infirmière, les aides, les amies... La vie reprendra un cours normal et adapté aux besoins de ce couple marié depuis soixante-et-un ans!

N’empêche. Cette expérience inattendue a laissé des traces en moi : est-ce cela, notre système de
santé qui abandonne les plus abandonnés ? Je comprends un peu mieux les manifestations de rue des infirmières ou des employés qui sont confrontés tous les jours à des dizaines de cas identiques. Est-ce cela, le système de fin de vie qui m'attendra un jour ?

Épouvantables pensées où la vie et la mort sont si proches... Mais immense reconnaissance à ceux
qui se dévouent toute l'année pour aider ou soutenir un malade, une personne âgée ou isolée... Tous
mériteraient une médaille ! ››

Le Maire

Il n'y a rien à ajouter à ce texte. Sinon qu'il faut s'aimer un peu, un minimum dans ce monde d'égoïsme, d'individualisme, d'indifférence, de fureur. Se tendre la main dans des situations difficiles et s'aider si le besoin se fait sentir. Le chemin à parcourir sera long...Il y a des petits quartiers, les gens se connaissant bien, ne se saluent pas et ne se parlent pas, durant  des années. Même les petits enfants voisins, durant la belle saison, ne jouent pas entre eux. Un apartheid ? dans un petit village ?
Dans un petit lotissement de 5, 6 maisonnettes à l'orée de la forêt où les enfants devraient crier de bonheur???
Mais quel monde sommes nous en train de créer ? Des barbelés invisibles ?
Le chemin sera long et difficile, je le crains...
La Mouche



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