« À cette minute précise, ce chien m’a choisi. » L’instant du coup de foudre. Quand, dans la mêlée de la portée de bouviers bernois, le petit « numéro douze », qui bientôt s’appellera Ubac car l’auteur est montagnard, a aperçu Cédric Sapin-Defour.
C’est sur ce renversement de regard, cette parité des sensations, que repose Son odeur après la pluie , récit biographique et “canigraphique”. Amoureux, aussi.
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Le “maître” apprend du chien comme l’inverse. Surtout la façon de saisir l’instant, de ne rien attendre et de s’émerveiller de tout, de consentir sans cesse à l’imprévu – « cet art d’être attentif, Ubac me l’enseigne ». En retour, l’homme offre couvert et protection. « Un fragile rempart, oui, voilà ce que l’arrivée d’Ubac fait de moi. Et c’est un statut délicieux.
« Ensauvager mes jours »
Il faut oser exposer ainsi ses sentiments pour un chien ; Sapin-Defour le fait avec délicatesse et style. « L’amour dont il s’agit sera sans conditions […] Il sera là à ensauvager mes jours et ni lui ni moi ne serons plus jamais seuls. Cela peut suffire à être heureux. »
On peut regarder de haut ces rayons d’animalerie garnis de spray antistress pour chien, de dentifrice pour chiens, d’impers écossais pour chien, de DVD à diffuser au chien quand on est absent… Quel mal y a-t-il à ça ? Le ridicule, c’est pour les autres.
Au fil du livre, le bonheur d’une vie à cinq s’instaure : avec la compagne de l’auteur puis deux autres chiens, un labrador, Cordée, et Frison, fille d’Ubac. Mais déjà perce l’inéluctable. Un chien vit moins longtemps qu’un homme et les bouviers bernois dont l’âge atteint deux chiffres « ne sont pas légion ».
Les vétérinaires, êtres supérieurs
Arrive donc le temps des visites chez les vétérinaires, « des êtres supérieurs », spécialistes de tout, qui « font ce qu’une cohorte de dix médecins peinerait à honorer, au milieu de patients infoutus de dire où ils ont mal ».
À l’impossible nul n’est tenu, pas même un véto. Cédric Sapin-Defour fait le récit des derniers jours d’Ubac, de l’incinération et de la dispersion des cendres à l’Aiguille de la Persévérance, clôturant ce témoignage de reconnaissance éternelle : « Tu étais né pour l’amour, un amour subtil, ni aveugle ni captif, et tu m’as greffé sous la peau un je-ne-sais-quoi électrique qui stimule le cœur dans cet axe et le surveille. Je t’ai regardé vivre et ta perception du monde a diffusé jusqu’à moi. »
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MHSCH
Oui . . . Je t'ai regardé vivre. Et tes yeux en
plongeant dans les miens ont exprimé des émois que j'ai aimés et
bien souvent devinés. Ton beau regard cherchait à
dire et à me faire comprendre des choses que tu ne pouvais
exprimer. Nous avions notre langue à nous.
Qui nous parlait de notre belle affection
mutuelle, indéfectible Si fidèle . . .
Tu
avais toujours les yeux mouillés, comme perlés de larmes ?
Parce que tu cherchais inlassablement à communiquer ?
Et il te manquait ce quelque chose qui ressemblerait à
la parole ? Ton regard
me cherchait sans cesse . . . . .
Tu t'enivrais aussi du parfum des fleurs dans le jardin . . .
MHSCH