Femmes ; seulement entre
Dieu et Depardieu ?
Par Kamel Daoud
Justice et sexualité dans le démocraties et les dictatures
Iran, Téhéran. De courtes vidéos montrent parfois une tresse de cheveux, un ventre nu, un bras, un sourire furtif ou une danse. D'autres fois, c'est juste une femme qui marche dans la rue, mais sans voile. Corps éclatés, corps disloqués, corps en morceaux traqués après le mouvement « Femme, vie, liberté ››, ses héros pendus à l'aube de chaque jour. C'est donc un étrange compte rendu de la «vie morte ›> des femmes en Iran. Ces corps puzzle ressemblent à celui de la femme aimée dans l'époustouflant roman . . . .
Les Enfants de minuit, de Salman Rushdie. Le personnage, une jeune fille issue d'une grande famille, ne peut être vue par son médecin, jeune homme en quête de noces, que par le trou d'un drap intermédiaire,.» par glissements chastes, par fragments précisément. Sauf que, en Iran, il ne s'agit pas de soigner, mais de tuer. Et c'est peut-être ce qui en dit le plus sur ce régime criminel et sur son hystérie : les cheveux d'une femme lui font 1'effet d'un attentat. Le plus bel éloge, en creux,
""se confond ici avec le plus insoutenable. Le régime des ayatollahs craint les femmes et
celles-ci ont peur de lui. Et dans ce mariage forcé,; rythmé par les féminicides, se dessinent la vérité des régimes théocratiques et leur pathologie. ""
Mais les démocraties occidentales se portent-elles mieux? Là aussi, la sexualité et le rapport à la femme se retrouvent au cœur de l’entreprise de redéfinition de la démocratie. Là, c'est le «corps» de l'agresseur que l'on prétend dévoiler par le même procédé de morcellement ou d'hystérisation : le propos graveleux d”un acteur de cinéma; une dispute conjugale entre deux figures de l'establishment parisien; un viol caché ou une prédation sexuelle organisée dans un milieu professionnel précis, etc.
Le néoféminisme << gauchisé ››, sélectif, et << dégentrifié ›› à l'extrême, la religion de la pétition, la sentence sur les réseaux sociaux ou les inquisitions demeurent aussi l'expression de ce lien malheureux avec la femme, le corps, le sexe. Là aussi, par un effet dangereux, on est à la limite de la rupture : celle du «tous coupables ›› et de la fin de la présomption d'innocence. La généralisation de la dénonciation stalinienne, le procès sans défense.
Qui est désormais coupable ? Qui demeure innocent? Dans le «Sud global ››, au sein des dictatures, la question est tranchée : est fautif l”opposant politique ou la femme. Selon le dictateur, ou selon le religieux. Ou parfois les deux, quand ils se confondent dans le même corps voilé comme en Iran.
Mais dans les démocraties du Nord? En Occident ? C'est un peu le jeu bizarre de l'époque: le péché est très sexué désormais, et se réinvente progressivement. Post-Mee Too, la délation, la fin du patriarcat culturel et artistique prédateur, et la viralité des médias sociaux ou ces envies de nihilisme que l'on confond. avec des idées de révolution. Aujourd’hui, un grand souffle d'inquisition sexuelle, justifié et exagéré, traverse ces pays où la présomption d'innocence se montre dangereusement caduque. C'est dire que, malgré la modernité, le sexe, le corps et la femme, on reste fragile et donc inquisiteur.
La France aujourd'hui, sur ce thème, vit un air de 1984 (Orwell) sexuel en contrepoids à la vérité suffocante du Consentement (Springora).
D'où vient ce souffle? Du besoin de justice et de la tentation de la facilité: à la nécessité d'éclaircir certains crimes et de juger des «faits ›>, s'ajoutent l'hallali, les justices des meutes numériques, les radicalités dangereuses et les assouvissements de haine. Il faut donc faire attention: l'Occident a inventé le péché, mais il a aussi appris à défendre l'innocence.
Il ne faut pas <<iraniser>› les grandes causes, ni la justice, ni la lutte pour les droits des femmes. L'Occident n'a pas besoin d'ayatollahs, c'est l'Iran qui a besoin de démocratie.
A Lire et méditer . . .
La Mouche