Je termine mon existence dans un désert
d'indifférence !
(C'est un Un texte que j'ai pioché dans le journal FEMINA )
Mon mari est décédé il y a trois ans
et à 86 ans, je me retrouve complètement seule, sans aucune famille
près de moi ; le couple de mon fils, mes trois (grands)
petits-enfants et quatre arrière petits enfants sont à 400 km. On
se voit aux fêtes, mais quand je rentre chez moi s'installent la
distance et l'indifférence. On finit presque par m’oublier! Je
suis une personne encore alerte, active et travailleuse. J’entretiens
me petite maison, mon potager, je fais mes courses avec ma
voiture..,.
Avec de la volonté je me débrouille
encore. Ce qui me peine énormément, c'est que, pour ma famille et
mes voisins, je suis la dame âgée qui a la grande chance d'aller
toujours « très bien ››. Personne ne veut savoir que j’ai moi
aussi des problèmes de santé. Je suis fatiguée d'entendre que j'ai
« de la chance ››. Personne ne reconnaît qu’il faut du
courage et de la volonté pour ne pas sombrer quand on est âgée et
seule, J'ai l’impression que cela les arrange tous de me voír
encore travailler: pas besoin de inquiéter ou de rendre un service.
En plus, j’habite un lotissement où il n'y a pas de place pour
l'amitié.
J'ai toujours pensé aux autres, et je
termine dans un désert d'indifférence.
Marie-Josée, 86 ans, Livarot
Réponse et analyse de la psychanalyste .
Votre parole ici est un acte de
résistance intime. Il y a des milliers de personnes comme vous qui
vivent cette invisibilité cruelle dans une société qui valorise la
performance et la jeunesse, et oublie combien il faut de courage,
jour après jour, quand on entre dans le grand-âge.
Ce que vous
exprimez avec une telle clarté touche quelque chose de très
profond: le sentiment d'être encore en vie, mais devenue invisible
aux yeux des «autres. Comme si, votre autonomie, admirable, vous
condamnait à une forme de solitude que personne ne semble voir.
Ce
que vous décrivez est malheureusement courant: trop de personnes
âgées vivent dans ce double abandon, affectif et symbolique. Elles
ne sont plus prises en compte dans les échanges du quotidien comme si
leur vie intérieure, leur fatigue, leurs besoins n'étaient plus
jugés « pertinents » .
Vous conduisez, jardinez, entretenez votre
maison: oui, c'est remarquable! En même temps, c'est là que se loge
le malentendu douloureux: parce que vous- semblez forte et ne
dépendre de personne, les autres imaginent que vous n'avez besoin de
rien. Comme si on oubliait qu'un sourire peut cacher la fatigue,
qu'un air vaillant peut dissimuler la peine de vivre sans tendresse
ni reconnaissance au quotidien.
Il ne s'agit pas de vous plaindre
-vous ne le faite pas -, mais de demander à être vue dans votre
vérité: celle d'une femme âgée mais vivante, seule mais encore
pleine de ressources, oubliée mais digne d'amour et de
considération. Ce que vous ressentez n'est pas une exagération,
c'est un appel au lien. Vous n’êtes pas en train de demander « je
veux qu'on fasse tout à ma place », vous dites « je voudrais qu'on
me voie, qu'on m'écoute, qu'on s’inquiète un peu de moi.. comme
un être humain encore là ».
Peut-être pourriez vous , sans renier
cette réalité, envisager de recréer du lien autrement. Par un
groupe de parole ou une association locale, où vous pourriez
rencontrer d’autres personnes comme vous, qui refuse la solitude
imposée. Par une lettre à vos enfants, ou petits enfants, non pas
dans le reproche, mais pour dire simplement ce que vous avez confié
ici: vos besoins de lien, de nouvelles, de présence, de partage
simple, même à distance. Enfin par un accompagnement psychologique
(de plus en plus de communes proposent des services gratuits) pour
poser cette fatigue et cette douleur que vous portez avec tant de
dignité.
Vous n'êtes pas faible. Vous êtes une femme forte qui a
besoin d'amour et de reconnaissance – nos besoins vitaux psychiques
– et ose le dire. Et c'est essentiel.
Vos mots sont pleinement
vivants. Ils méritent d'exister, d'être partagés, entendus,
honorés.